Menu Fermer

Implantation actuelle

LE PEUPLE MANJAK EN GUINEE BISSAU

DE L’ORGANISATION CLANIQUE A L’EMPIRE

TRAVAUX INEDITS DE RAYMOND MENDY
Pr d’Histoire et Géographie au Centre Académique
D’Orientation Scolaire et Professionnelle de Ziguinchor

Arrivés dans cette partie de la Guinée Bissau actuelle vers les 11e et 12e siècles (à confirmer par des fouilles archéologiques) peut être même plus longtemps et à l’abri des guerres tribales et des invasions musulmanes, les Manjaku s’organisent autour de Bassérar (Bassarel_selon les archives portugaises ou Basseilla d’après les archives françaises) en chefferies dirigées par les chefs de clans. Puis ces clans sont unifiés autour d’un roi qui porte le titre de NAMWAAN BASSERAR. Ce royaume de BASSERAR s’élargit et comprend désormais cinq grandes provinces : PTSAME, BABOCK, PELUNDE, PTAME et CAIO. Le monarque de Bassérar coiffe et nomme les chefs de provinces et les chefs de clans organisées autour des villages appelés INCIMANE.

Ensuite, comme tout royaume qui aspire à l’hégémonie, Namwaann Bassérar entreprend des conquêtes. Ainsi tour à tour, sous l’impulsion des guerriers appelés BANJAFU, les royaumes de Boula (pays Mancagne ou Brame selon les sources portugaises), Binar et Bissora (pays Balante), Bissau, Prabis et Biombo (pays Papel encore appelés Pépéis par les sources portugaises), Bolama (pays Béafada) et Bouloil plus connu sous le nom de Bolor par les sources occidentales (pays Diola ou Floup), sont annexés.

Le souverain de Bassérar devient ainsi un Empereur régnant sur le pays Manjaku (Manjak ou Manjaque et encore appelé Papel du Nord d’après les sources franco-portugais), le pays Brames ou Mancagne, le pays Balante, le pays Papel, le pays Béafada et le pays Diola ou Floup au sud de la basse Casamance. Il faut ajouter à cela Bafata le pays Manding et Fula (Peul). En vue de la durabilité de l’empire, un compromis politique fut trouvé entre ces royaumes conquis et KOR BASSERAR la capitale de l’Empire : l’Empereur ne doit pas provenir du clan Bassérar mais il est investi suivant un rite entouré de secrets dont seuls les Anciens et la famille BABUSSINE sont initiés. La fonction d’Empereur n’était pas héréditaire.

En revanche les natifs du village de Bassérar étaient éligibles aux fonctions d’Administrateur des provinces intérieures et extérieures ; autrement dit aussi bien à l’intérieur du pays manjaku que dans les contrées conquises. Ce compromis politique permit la cohésion et l’unité dans l’empire qui put ainsi faire face aux Etats voisins et menaçants du Gabu et du Fouta Djollon lesquels pratiquaient déjà le Jihad et les razzias d’esclaves au profit du monde musulman ; alors que la religion officielle de l’Empire est l’Animisme. BASSERAR prospéra ainsi jusqu’à l’arrivée des premiers Portugais à CACHEU en 1446.

II - C/L’EMPIRE DE BASSERAR FACE A L’INTRUSION EUROPEENNE

Dès l’arrivée des premiers Portugais à Cachéu, fief des Manjaku, les tam-tams royaux résonnèrent pour annoncer les intrus. L’armée se restructure. A côté des Banjafus (fantassins et cavaliers - les chevaux étaient importés du Kayor au Sénégal), un corps d’élite constitué d’espions (services de renseignement) et de marins (on comptait plus de 300 pirogues selon les archives portugaises) est créé : ce sont les Grumétes ou Gourmètes, Gurmétu. Un contingent de Grumétes est lancé pour renseigner le NAMWAAN BASSERAR sur les motifs et les moyens des intrus. Le slogan était : « Espionner pour mieux résister ».

Ainsi alternent échauffourées et signatures de traités avec les Portugais. Les Grumétes travaillèrent en collaboration avec les puissances (il y avait 17 Puissances Européennes, Américaines et Asiatiques au 18e siècle en Guinée Portugaise), tout en restant loyaux à l’Empereur : razzias d’esclaves pour le compte des Européens contre des produits manufacturés dont les armes qui permirent à l’Empire de préserver sa souveraineté jusqu’en 1914.

La collaboration entre Grumétes et les Puissances du 15e au début du 20e siècle (Portugal, Angleterre, Pays-Bas, Espagne, Italie, Danemark, Allemagne Suède, Norvège, et plus tard Autriche-Hongrie, Belgique, Russie, USA, Canada, Brésil, Inde…) permet aux Manjaku de découvrir le monde inconnu en même temps que les Européens car ils étaient engagés dans différentes flottes étrangères comme laptots, matelots, soldats et même cuisiniers et domestiques. Certains Grumétes parviendront même à piloter les chalands et navires européens. C’est le début d’une première diaspora manjaku vers les comptoirs comme Gorée créé en 1444, Saint-Louis fondée en 1659, Ziguinchor créé en 1645, Bathurst (Banjul) crée en 1816 et vers les grands ports métropolitains (Marseille, Bordeaux, Nantes, Dunkerque, Londres, New York…).
D’après le site français « Généalogie.Com », les premiers Manjaku débarqués au port de New York parmi les passagers français sont : MENDY Adolphe (1842), MENDY Albert(1868)…et 62 MENDY sont nés en France entre 1891 et 1915. Aussi le patronyme GOMIS occupe aujourd’hui la 2163e place, tandis que MENDY, le 2739e rang des patronymes en France.

Ce test d’ouverture à l’OCCIDENT permet au monarque de Bassérar d’établir un commerce florissant avec les Européens basé sur des esclaves, la gomme copale, la cire, l’huile de palme, le cuir, l’ivoire, des carapaces de tortues, des plumes d’Autriche, le bois, le riz … contre les pacotilles, tissus, sucre, vin de toutes marques particulièrement le whisky, le cognac et le rhum à partir de Cachéu. Puis au 18e siècle commence une laborieuse colonisation entreprise par les Portugais.

II - D/LA RESISTANCE EN PAYS MANJAKU

La résistance en pays manjaku fait suite à l’installation des factoreries dans ce qui est appelé aujourd’hui Guinée Bissau : Cachéu, Bissau, Bolama, Farim, etc. Les Banjafus et les Grumétes jouèrent un rôle essentiel. Ils arraisonnent les cargaisons de différents produits particulièrement les armes et les vins au profit du Namwaan Bassérar lorsque les commerçants européens ne s’acquittaient pas des taxes en vertu des traités signés avec les chefs des provinces desservies par les chalands européens. Les sources franco-portugaises parlent à cette époque de « pillards » et de « pirates manjak » sur les rivières Cachéu, Geba Boty, Caio, pecis, Bissau, Bolama, etc. Les comptoirs sont fréquemment harcelés par les guerriers appelés Banjafus. Cachéu subit constamment les attaques de Chur ou churo, Bassérar, Pelunde, Bianga, et Canchunghu selon les documents portugais.

Le Gouverneur de Cachéu sollicite souvent le soutien des autorités françaises de Carabane et de Gorée en renforts. Plus tard la capitale de la Guinée portugaise est transférée de Cachéu, fief des manjaku, à Bissau créé en 1692 chez les Papel. L’empire entre en ébullition si bien que la France et l’Angleterre se demandent si le Portugal est capable de contrôler et de sécuriser le commerce ici. L’Angleterre ira jusqu’à contester le tutorat du Portugal sur le pays manjaku. Le différend entre les deux puissances sera vidé le 2 avril 1870 par le président des ETATS-UNIS, Ulysse Simpson GRANT en faveur du Portugal. Pour arriver à bout de la résistance, le Portugal s’appuie sur un corps de tirailleurs sur le modèle sénégalais et arme des mercenaires extrêmement féroces : ce sont des Angolais, des Mozambicains, des Mandings du Gabu, les Peuls du Fouta Djallon et même les Wolofs du Sénégal. Le pays Manjaku est attaqué de toute part. Les provinces extérieures sont soumises tour à tour : Boula, Bissau, les pays Balante et Diola (Floup).

II- E/ LE SIEGE DE BASSERAR

Les provinces conquises, les Portugais préparent l’assaut de Bassérar : les troupes sont massées à Texeira Pinto (actuel Canchunghu). Elles sont constituées de tirailleurs et de mercenaires dont le sanguinaire Abdu Ndiaye (Injaï selon la transcription portugaise) qui sont rémunérés des butins de guerre qui s’annoncent juteux ici. Pendant ce temps à Bassérar, Banjafu et Grumétes peaufinent leurs stratégies. Koor-Bassérar, la capitale se barricade derrière une palissade fortifiée en piquets de bois avec des tranchées derrière. Mais cette unité pour défendre la capitale présente des failles. Un débat oppose, en effet, les Conservateurs aux Modernistes.
Pour les premiers, il faut se battre pour conserver l’autonomie : c’est le cas des Banjafus sous la houlette de leur chef UBA GTIS qui sont décidés à défendre l’indépendance de la terre des Ancêtres.

Pour les seconds, il faut se rendre pour moderniser la cité à l’instar des nations étrangères qu’ils ont visitées : c’est le camp des Grumétes dirigés entre autres par Johambicou Prunghu en particulier. Ils proposent même une alliance avec la France en contrepartie d’un Protectorat sur le modèle de l’Algérie.

Finalement le camp de la résistance triomphe et tout le monde adhère. L’attaque portugaise débute le 18 mars 1914. Mais Bassérar résiste jusqu’au 10 avril 1914 sous le commandement de UBA GTIS après avoir infligé plusieurs défaites aux assaillants. Ce jour du 10 avril 1914, un certain KANTEMBENG, guide les troupes coloniales dirigées par le Gouverneur MUZANTY vers le passage secret sis au quartier UJIGYA au sud de la capitale. Les Portugais et leurs mercenaires entrent à KOR BASSERAR et l’incendient alors que le gros des troupes résistantes était massé au Nord au quartier BALOMBE. C’est là l’épilogue du siège de BASSERAR qui aura duré près d’un mois c'est-à-dire du 18 mars au 10 avril 1914. UBA GTIS et bon nombre de résistants sont réfugiés en Casamance voisine pour échapper à la vague de répression. Mais le Leader des Banjafus reviendra plus tard à Bassérar où il est mort et enterré à Balombe vers 1960.

CONCLUSION

La grande bataille de BASSRAR met fin à l’hégémonie du peuple Manjaku sur ce qui deviendra la GUINEE PORTUGAISE. De nouveaux chefs de clans appelés REGULO sont nommés par les nouvelles autorités coloniales. La brutalité du système provoque une nouvelle diaspora, voire une saignée humaine du peuple MANJAKU vers l’extérieur. »